Les Amants Maudits
Rift 2012©
Mathosia, trente ans auparavant..Les jeunes époux observaient le couchant, enlacés, la main du jeune mari caressant le ventre rebondi de sa compagne. Cette dernière apposa la sienne avec grâce sur celle de son compagnon puis lui adressa un tendre sourire. Le jeune fermier sentit alors son cœur se soulever dans sa poitrine, saisi par cette vision d'amour, cette promesse de bonheurs à venir. Bientôt leur premier né ouvrirait les yeux sur cette terre qu'ils s'employaient à cultiver et à rendre meilleure. Pour l'humble paysan, il ne semblait pas y avoir plus simple expression de ce qu'était le bonheur, et il en remercia les Dieux pour tous ces dons précieux...
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Temps troubles de l'Ombre, vingt ans auparavant.."Cassandre !! Cassandre !! Emmène les petits au vieux moulin ! Je vais les attirer sur un autre chemin!! Préviens tous ceux que tu croises ! Barricadez vous là bas !"La femme hésita puis acquiesça lentement, les joues zébrées de larmes. Elle poussa les jeunes enfants apeurés vers la direction du vieux moulin, jeta un dernier regard à son époux par dessus son épaule. La Mort s'était répandu sur Mathosia, et ses séides se déversaient constamment du ciel déchiré. Une ombre immense et gigantesque semblait planer au dessus de l'ancien royaume des hommes, recouvrant ces terres d'un voile funeste et macabre. La ferme voisine brûlait déjà et bientôt les cohortes de damnés viendrait poursuivre ses massacres ici.
Le cœur lourd, le fermier incendia son propre foyer, espérant que la fumée et les flammes gêneraient la progression de ces engeances. Il espérait que cela couvrirait la fuite de sa famille, et priait de tout cœur les Dieux de lui permettre de les rejoindre à temps.
...
"Cassandre ! Les enfants?! Où êtes-vous ?"Une petite tête pointa le bout de son nez par une des fenêtres du moulin. Aussitôt deux chérubins accoururent vers leur père, talonnés par leur mère morte d'inquiétude. La fumée âcre de son ancien foyer qui se consumait lui parvenait encore, mais le soulagement de retrouver les siens sains et sauf éludait cette perte. Il les serra fort contre sa poitrine, et se prit à espérer...
Mais l'espoir fut fauché quand des sabots martelèrent le sol... Une rangée de cavalier décharnés, montés sur des chevaux en décomposition chargea sur eux..
Le fermier se posta devant eux, pour protéger sa famille, mais seulement en illusion, ou par principe...
Il fut empalé par une lance à la pointe rouillée et dentelée qui en sortant de son dos alla se ficher dans le sol...
Son sang bouillait dans sa propre gorge et menaçait de l'étouffer. Mais ce n'était pas le pire...
Le pire est que la Mort ne lui fit pas le cadeau de l'emporter sur le champ. Oh non, elle lui laissa le temps d'entendre les cris et les agonies de ses enfants ainsi que de son épouse. Empalé et immobilisé, il ne put même pas leur adresser un dernier regard..
Mais, un bruissement dans l'herbe avertit ses sens étonnamment vifs que quelque chose rampait à vers ses pieds.. Il sentit alors une main agripper sa cheville.. puis un gargouillis atroce quand une des engeance planta son javelot dans ce qui se tenait à sa cheville.
Et quand le dernier murmure de cette victime prononça son nom, alors il comprit qu'il s'agissait de son aîné...
Puis vinrent les ténèbres froids et confortables de la Mort, ce long passage menant vers les champs de l'après vie. Là où l'attendaient les siens...
Jusqu'à ce que lui aussi soit une nouvelle fois arraché à ceux qu'il aime..
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De nos jours, forêt des Pins de Fer..L'ancien fermier avait l'impression d'avoir été piétiné par une horde de Valmeras tant l'épreuve qu'il avait subi, mais surtout ce qu'il avait infligé à l'âme de Moyha l'avait épuisé. Les remords le tiraillaient sans cesse, mais sa conscience savait éperdument que ce sacrifice était nécessaire, pour que l'Arbre puisse fleurir un jour. Il avait accepté le sacrifice de ses hôtes qui eux aussi avaient payé très cher ce rituel. Le félin a ses côtés avait quelque peu perdu de sa superbe et marchait d'un pas lourd et peu gracile pour une fois.
Alors, l’Élu contempla un petit collier qu'il tenait en sa main. Il ferma les yeux un court instant et laissa perler quelques larmes. En ce réceptacle, il avait confiné ce qu'il avait sciemment ôté à Moyha quand il avait extirpé son âme des limbes. Tout cet amour, toute cette passion qui l'unissait à ce mage, tout cela résidait à présent dans ce pendentif.
Il avait senti la détresse et le chagrin de Moyha lors du rituel. Une douleur atroce qu'il ne souhaitait à personne, une souffrance qu'il avait lui même expérimenté il y a peu de temps, avant de la réduire à néant en s'arrachant sciemment une propre part de son âme. C'est ainsi que via l'aide de son compagnon et de ses hôtes, il ne lui avait pas rendu ce souvenir encore trop douloureux à ce jour. Que de gâchis. Quel triste époque, de devoir cacher et enfouir l'amour dans sa plus pure expression aux yeux et à la vue de ceux qui y aspirent tant pourtant...
A croire que ceux qui s'aiment n'ont d'autre choix que de souffrir et de se débattre contre un courant bien trop fort qui les tourmente et finit par les emporter au loin. Et que penser de cette Messagère aperçue peu avant le retour de Moyha, était-ce délibéré de leur part que de mettre sur pied cette mascarade ..? La vie de fermier lui parut tout à coup bien plus simple et hélas trop lointaine...