Lorsque l'on regarde le monde pour la première fois avec des yeux d'enfant celui-ci inspire crainte et amertume du seul instant de réelle sécurité que daigne offrir la vie. Puis la vision cauchemardesque s'estompe et laisse place au temps de l'innocence, de l'enfance insouciante. Mais ce temps n’est qu’éphémère et illusoire car très tôt la vie dispense ses leçons immuables. La première leçon qu’il du apprendre très tôt est qu’on ne choisit pas toujours, peu souvent même.
En effet il n’avait pas choisi où et quand vivre, ni son nom, il n’avait pas non plus choisi un père qui le battait régulièrement quand l’alcool lui faisait perdre raison. Malgré tout il accepta sa vie telle qu’elle lui était imposée, ployant l’échine et encaissant les coups quand il le fallait. Gengis n’était pas heureux certes, mais il ne pouvait concevoir à cette époque une vie différente que celle-ci, ni même soupçonner les richesses et la variété d’un monde qui lui était inconnu. Jusqu’au jour où il commit l’irréparable.
Une raclée de plus, une raclée de trop… une fourche mal rangée à portée.. Il suffit parfois d’un rien, d’une simple poussée de colère ou d’un violent désir de vivre pour faire basculer une vie. Quand Gengis rouvrit les yeux il découvrit gisant sur la paille souillée son tortionnaire de père, assassiné par un gamin désespéré qui dans un ultime élan de survie se saisit d’une fourche et… L’enfant était devenu homme à présent après ce baptême sanglant, et le poids de ses actes allait bientôt l’écraser.
Ainsi, paniqué et tremblant, il quitta cette ferme lugubre à ses yeux et y mit le feu, réduisant en cendres les derniers vestiges de sa mère défunte... Si elle avait été là peut-être que beaucoup de choses aurait été différentes... Mais il était trop tard pour les regrets et les « si ». C’est ainsi qu’à peine âgé de treize cycles il quitta tout ce qu’il connaissait et renonça à son nom pour fuir ses responsabilités, ses pas le menant désormais vers le monde extérieur sans qu’il n’ait jamais pu décider ni avoir une quelconque emprise sur son destin.
La découverte du monde fut tout aussi brutale que les évènements qui le conduisirent à l’explorer. Il fut émerveillé par les grandes cités, les monuments mais son enthousiasme se dissipa lorsqu’il regarda d’un peu plus près ce qui l’entourait. Il y découvrit le mensonge la trahison, la misère, la violence sous des formes inédites pour lui. Apeuré, sans endroit pour dormir ni même manger il se résignait déjà à finir comme voleur d’étalages pour finir assassiné dans une ruelle crasseuse…
Mais parfois lorsque l’on croit être arrivé au bout de son chemin et que la seule issue restante consiste à plonger dans le vide, un nouveau croisement se présente avec comme à chaque fois un choix à faire. C’est ce qui arriva quand une main épaisse fut tendue vers lui. L’homme à qui elle appartenait était grand et massif, un visage carré et peu engageant. Ce dernier s’impatienta quelque peu de voir son aide refusé par un gamin à l’estomac rongé par la faim et le manifesta par un grognement qui apeura Gengis plutôt que le rassurer. Après tout ce qu’il avait pu voir en si peu de temps, tous ces actes et ces comportements de bassesse il avait d’avantage perdu foi en la nature humaine, et rien ne lui disait que ce colosse bourru ne lui ferait pas de mal ou pire…
Le croisement était là, le choix aussi simple et compliqué à la fois. Etre prudent et se laisser mourir de faim ou prendre le risque. L’Abime ou bien une abyme potentielle, telles étaient les deux directions qui « s’offraient » à lui. Un gargouillis, puis une crampe dans l’abdomen, la faim prit la décision pour lui, il saisit la main tendue. Il suivit l’homme pensant à la promesse d’un repas chaud, préférant oublier des désagréments éventuels s’il avait menti. Le repas lui fut servi comme promis, tiède et peu goûteux mais digne d’un festin pour le petit souillon. En face de lui l’homme soupirait tout en trempant ses croûtons dans sa soupe regardant de temps à autre le gamin sans savoir qu’en faire ensuite. La bonté en ce monde est parfois bien cachée, aussi bien sous la misère que sous d’épais muscles et une apparence repoussante, le cœur du vieux guerrier céda et il prit la décision de recueillir un temps l’enfant. Il lui serait au passage utile pour les travaux journaliers et les corvées en échange d’un toit et d’un repas, et comme il n’avait pas d’enfants à nourrir, pourquoi pas.
Finalement, après un chemin chaotique et semé de pièges, Gengis termina son enfance chez ce curieux mécène nommé Bartuc Delmeth, ancien guerrier au temps de sa jeunesse. Ce dernier nourrit et éleva Gengis comme un fils, comme un apprenti. Il lui apprit le travail, le labeur, les armes et la religion pour en faire autant que possible un homme droit, un guerrier brave et pieux.